Le contrôle des individus

Surveillance : la dérive vers un contrôle des individus.

http://techniquesmanipulation.com/wp-content/uploads/2010/08/attention_manipulation.jpg

Dans le but de protéger la population nombre de dispositifs de surveillance ont vu le jour. Ils sont devenus si courant qu'il est facile de les oublier. Vivre avec est devenu quelque chose de tout à fait normal, commun. Protéger la population ne signifie pas seulement la surveiller, il faut  pouvoir prévenir les risques. Pour cela il faut réussir à la contrôler. 

Contrôler l'individu ne signifie pas obligatoirement le priver de toute liberté. Il est possible de contrôler un individu avec son consentement. Il suffit de lui garantir qu'il sera en sécurité et que rien de mauvais ne pourra lui arriver pour qu'il accepte ce contrôle.


Contrôler une société c'est lui imposer des règles, un mode de vie à suivre. Ces règles ne sont pas forcément subies comme une contrainte. Dès le moment où elles ont l'air d'être bénéfiques pour lui, l'homme peut les intégrer sans opposition.
La société dans laquelle vivent les individus du Passeur de Lois Lowry est formée de plusieurs règles qu'il est interdit de contourner. Ces règles sont assez faciles à suivre et permettent le bien-être de tous. Il est notamment interdit de mentir, de traîner dehors en pleine nuit, de sortir au-delà des frontières, dangereuses, de la communauté. Il est aussi interdit de manquer de respect à une autre personne et, dès le plus jeune âge, les enfants sont préparés à devenir des citoyens civilisés et respectueux des personnes qui les entourent. On comprend que toutes ces règles ont été créer dans le but d'éduquer et de protéger la population. Ainsi la violence n'existe plus, l'insécurité et la peur sont des sentiments que n'ont jamais connus les nouvelles générations. Les citoyens sont si bien éduqués qu'ils savent eux-mêmes se réguler. Toutes les règles sont assimilées. Cela pourrait être un monde parfait, un monde où tous les mauvais sentiments, les mauvaises actions sont bannis.
Néanmoins d'autres règles font leur apparitions et ce ne sont pas seulement les mauvais sentiments qui disparaissent mais tous les sentiments. Les individus n'ont plus aucun choix, tout est décidé pour eux, à l'avance. Les familles n'existent plus ce sont des cellules familiales qui sont mises en place. Une femme et un homme sont choisis pour vivre sous le même toit par un conseil de sages. Lorsqu'il en fait la demande ce couple se voit attribuer un enfant. Il peut refaire une nouvelle demande quelques années plus tard et il aura droit à un nouvel enfant de sexe différent. Une cellule familiale se compose exclusivement de quatre personnes : un homme, une femme, un garçon et une fille. L'amour n'existe pas. Les membres de cette famille sont attachés les uns aux autres mais ça ne va pas plus loin. Lorsqu'il arrive qu'un enfant meure (mais c'est extrêmement rare) la famille a le droit de demander un nouvel enfant.
Les personnes déviantes sont "élargies". Pour la communauté, lorsqu'une personne est élargie elle va dans un endroit inconnu de tous. Les enfants qui ne naissent pas en bonne santé (physique ou mentale), les personnes âgées, celles qui deviennent mentalement déficientes, celles qui transgressent les règles sont euthanasiées. La société peut être considérée en quelque sorte comme eugéniste. Elle ne garde que les plus forts, les plus résistants physiquement et mentalement. Lorsque des jumeaux naissent, pour qu'il n'y ait pas de confusion plus tard (puisque deux enfants ne sont jamais donnés en même temps à une même cellule familiale) le moins résistant est "élargi".
La plupart des femmes ne donnent plus naissance à des enfants. La sexualité est proscrite et régulée dès l'adolescence grâce à des pilules qui annihilent tout désir. Les tabous sont donc inexistants dans cette société puisque la sexualité n'existe plus. Inexistants ou presque puisque des mères porteuses existent. Ces femmes sont choisis par le conseil des sages de la communauté et elles vivent recluses en donnant naissance à plusieurs bébés dans leur vie. Lorsqu'elles sont en "retraite" elles ne réintègrent pas la société puisqu'elles sont très mal perçues. Ce serait l'équivalent des prostituées de nos sociétés actuelles.
Les individus de cette communauté sont débarrassés de tout choix. Il n'existe plus ce sentiment de doute, cette incertitude qui caractérise l'homme. Tous les choix sont fait pour eux, ils n'ont donc plus à s'inquiéter et peuvent vivre tranquillement leur vie sans avoir à douter. Les cellules familiales sont composées par les sages, ces mêmes sages qui choisissent le métier des enfants à l'âge de 12 ans. Tout leur est dicté et cela leur convient très bien puisqu'ils n'ont cas écouter et suivre ce qu'on leur dit.
La différence n'existe plus. Tous les êtres sont élevés et éduqués de la même façon. Les couleurs n'existent plus, c'est dans un monde en noir et blanc qu'évolue les individus de cette communauté. Les animaux ne sont plus dangereux pour les hommes puisqu'ils n'existent plus.


L'absence de peur, de violence, de doutes, de différences peut attirer. C'est un monde sûr, tous les problèmes actuels n'existent plus. Ils ont tous été réglé grâce à un contrôle total des individus. Contrôle dont ils n'ont pas conscience. Ils vivent tous en harmonie et heureux puisqu'ils n'ont à se soucier de rien d'autre que de suivre les règles qu'on leur impose. Néanmoins on peut se demande s'il faut préférer un monde sûr et aseptisé, ou prendre des risques mais être libres de ses choix. La volonté absolue de sécurité amène à une absence totale de liberté et de sentiments. On peut se demander quel est le sens de la vie si ce n'est pas de faire ses propres choix et la vivre telle qu'on l'entend.


Autre illustration. Nous autres, Zamiatine
Avant de commencer l'analyse, il est important de parler de l'auteur. En effet, Ievgueni Zamiatine est un auteur russe qui a écrit Nous autres peut avant la montée au pouvoir de Staline. Cette œuvre sera interdite en URSS. L'auteur écrira une lettre personnelle à Staline pour lui demander d'être exilé pour pouvoir continuer à exercer son métier d'écrivain, et surtout ne voulait pas contribuer à la future dictature qu'il avait dénoncé dans son œuvre dystopique.
Nous autres est une fiction écrite sous forme de journal par le personnage D-503, vivant dans l'État Unique, monde futur au nôtre (XXXe siècle). Dans cet univers, le bonheur des hommes se traduit par la non-liberté individuelle. Tout est mathématique et notre héros transforme le bonheur et la morale en cette science. L'amour est y est également banni, puisque chaque membre peut aller avec n'importe quel autre membre et plusieurs à la foi uniquement pour des rapports sexuels.
Comment y est faite la surveillance? Chaque habitant vit dans une chambre et les bâtiments sont faits de verres où l'on voit tout, sauf pour les ébats où l'on peut fermer les rideaux (on garde ici le principe d'intimité malgré tout). La surveillance se traduit donc en grande partie par l'architecture de l'État unique. Contrairement au panoptique de Foucault, il n'y a pas qu'un seul individu qui puisse observé mais bien tous les membres entre eux. Le courrier est lui-même lu avant de le donner au destinataire. On ajoutera enfin que chacun a la possibilité et est de son devoir de dénoncer tout individu qui ne respecte pas les normes de l'État unique (caractéristique à chaque dystopie). Comme dans l'exemple précèdent, Le passeur, les esprits sont contrôlés pour qu'ils ne puissent plus penser par eux mêmes. Dans Nous autres, nous avons même la « Grande Opération » qui supprime toute imagination chez les individus. Finalement la manipulation des êtres est également une forme de surveillance sûr et (presque) infaillible.


Lien vers le document: http://www.needocs.com/document/ebooks-ebooks-romans-eugene-zamiatine-nous-autres,10953


Extrait du Passeur de Lois Lowry.


Les jours et les semaines passèrent. Jonas apprit par le biais des souvenirs le nom des couleurs ; maintenant il commençait à toutes les voir dans sa vie ordinaire (bien qu’il sût que sa vie n’était plus ordinaire et qu’elle ne le serait jamais plus). Mais elles ne restaient pas. Il apercevait du vert : la pelouse aménagée autour de la place Centrale ou un buisson sur la berge de la rivière ; l’orange vif des citrouilles acheminées par camion depuis les espaces agricoles situés à l’extérieur de la communauté – entrevu un instant, un éclair de couleur qui disparaissait aussitôt et tout retrouvait la même teinte plate et sans nuances.
Le Passeur lui dit que cela prendrait très longtemps avant que les couleurs ne restent.
- Mais je les veux ! dit Jonas en colère. Ce n’est pas juste que rien n’ait de couleur.
- Pas juste ?
Le Passeur regarda Jonas avec curiosité.
- Explique-moi ce que tu veux dire.
- Eh bien…
Jonas dut s’arrêter pour réfléchir à la question.
- Si tout est pareil, on n’a plus le choix. Je veux pouvoir me lever le matin et faire des choix. Une tunique bleue ou une tunique rouge ?
Il baissa les yeux sur le tissu terne de son habit.
- Mais c’est toujours la même chose.
Puis il rit doucement.
- Je sais que ça n’a pas d’importance, ce que l’on porte. Cela ne compte pas. Mais…
- C’est le fait de choisir qui compte, n’est-ce pas ? lui demanda le Passeur. 
Jonas acquiesça.
- Mon petit frère… commença-t-il mais il reprit. Non, c’est inexact. Ce n’est pas vraiment mon petit  frère. C’est un nouveau-né dont s’occupe ma famille, il s’appelle Gabriel.
- Oui, je suis au courant.
- Eh bien, il est juste à l’âge où il apprend plein de choses. Il attrape les jouets quand on les lui présente  - mon père dit qu’il apprend le contrôle des muscles superficiels. Il est réellement mignon.
Le Passeur approuva de la tête.
- Mais maintenant que je vois les couleurs, au moins parfois, je me dis : et si on lui présentait des objets qui étaient rouge vif ou jaune vif et s’il pouvait choisir ? Au lieu de l’Identique.
- Il pourrait faire le mauvais choix.
- Oh !
Jonas se tut un instant.
- Je vois ce que vous voulez dire. Ce ne serait pas grave pour un jouet d’enfant. Mais plus tard ça pourrait l’être, n’est-ce pas ? Nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser les gens faire des choix.
- Ce serait dangereux ? suggéra le Passeur.
- Tout à fait dangereux, répliqua Jonas avec assurance. Et si on les autorisait à choisir leur conjoint ? Et si ils faisaient le mauvais choix ? Ou si poursuivit-il en riant presque devant l’absurdité d’une telle hypothèse, ils choisissaient leur métier ?
- Ca fait peur, non ? dit le Passeur.
Jonas gloussa.
- Très peur. Je ne peux même pas me l’imaginer. Nous devons vraiment empêcher les gens de faire le mauvais choix.
- C’est plus sûr.
- Oui, approuva Jonas. Beaucoup plus sûr.
Mais quand la conversation dériva sur d’autres sujets, elle laissa à Jonas un sentiment de frustration qu’il ne parvint pas à comprendre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire